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1. Réminiscence

Keira Til'Kaori
Frontalière égarée
Keira Til'Kaori
❝Regain d’une vieille amertume❞

Keira observait distraitement son reflet miroitant à la surface de l’eau, parfois déformé par les bulles remontant de sa gourde. Ce long voyage depuis la Citadelle ne l’avait pas épargnée, ses cheveux étaient recouverts de crasse et des engelures parsemaient ses joues et son nez. Fort heureusement, leur délivrance était proche. Les hautes tours brillantes d’Al-Jeit étaient en vue et leur arrivée était prévue à la tombée de la nuit. Keira souffla un jet de fumée en pensant au lit et au bain qui l’attendait ce soir.

Sa gourde était pleine depuis un moment mais elle remarquait seulement la disparition des bulles et l’engourdissement de sa main. Elle extirpa cette dernière du courant gelé et déplia son corps endoloris. Bras tendus vers le ciel, son étirement fut accompagné d’un bâillement bruyant.
Un peu de tenue, jeune fille. Quelques semaines sans armure et te voilà devenue aussi distinguée qu’un vulgaire paysan.
Keira n’osa pas lever les yeux au ciel et se contenta donc de refermer sa gourde et de reprendre une posture normale.
Mais nous sommes de simples et modestes voyageurs, et cela depuis que nous avons quitté la Citadelle. Il serait dommage de voir notre couverture démasquée, alors que nous sommes si proches d’Al-Jeit.
”Et puis, vous pouvez toujours parler d’élégance, avec cette vilaine barbe qui vous a gagné pendant le trajet” pesta-t-elle intérieurement. Elle écouta à peine la réponse de son père. Dissimuler son agacement était de plus en plus difficile. A la Citadelle, elle pouvait l’esquiver la majeure partie de la journée et ainsi maintenir une sorte d’équilibre entre eux. Cependant, voyager à ses côtés pendant des semaines, subir sa rigidité, ses pics et sa mauvaise humeur en permanence, avait mis ses nerfs à vif.

Elzeir Til’Kaori, célèbre Frontalier, et très certainement la personne la moins adaptée à une mission centrée sur la discrétion. Aucun d’entre eux n’avait encore les détails de ce qui les attendait dans les prochains jours. L’Empereur en personne devait les recevoir et leur exposer leurs objectifs. Et cette rencontre devait rester secrète, à tout prix. Par conséquent, pourquoi choisir un Frontalier aussi reconnaissable que Elzeir ? Cette question la hantait tant la réponse était évidente.

Keira monta sur sa jument et emboita le trot à ses compagnons. Eux aussi, faisaient partie des plus fines lames de la Citadelle. Tout ceci ne pouvait que signifier que les ennemis à affronter étaient puissants, assez puissants pour que les talents combatifs d'Elzeir prévalent sur ses piètres capacités d'espionnage ou de dissimulation. Quant à Keira…Elle ne se sentait pas à sa place dans ce groupe. Elle n'était pas censée faire partie de l'expédition. Elle savait que son père avait négocié sa place, clamant qu’il était temps qu’elle fasse ses preuves avec un fait d’arme important. Seulement, elle-même n’était pas sûre d’être prête. Elle était en revanche parfaitement sûre d'être loin d'égaler ses confrères. "Tu n'y mets tout simplement pas assez de cœur", l'avait sermonnée Elzeir, à de maintes reprises.

L’estomac noué, elle fit taire ses pensées, laissa sa jument la guider vers la capitale et perdit son regard dans le magnifique ciel bleu aux teintes violacées qui la surplombait.

***

L’auberge qu’ils avaient dénichée ne payait pas de mine mais semblait pouvoir offrir tout ce qui leur fallait. Un repas chaud, de l’alcool, une étable pour reposer leurs chevaux. Et surtout, une baignoire. Keira avait eu la présence d’esprit de la réserver en premier, répugnée par l’idée de se plonger dans une eau froide et gluante, après le passage de quatre grands bonhommes encrassés. La tenancière l'avait dirigée vers les étages une fois le bain prêt et Keira cherchait à présent la bonne pièce.

Un cri étouffé de surprise retentit derrière elle, puis un objet chuta lourdement. Keira se retourna vers ce qui semblait être une employée de l’auberge, un énorme panier de linge renversé à ses pieds. Keira détourna ses yeux du désordre pour chercher ce qui aurait pu provoquer une telle réaction mais ne trouva rien d’anormal. Elle arqua alors un sourcil et porta son attention sur la femme, affairée à rassembler le linge.

Son cœur cessa un instant de battre, pour repartir à pleine puissance, la submergeant d’une foule d’émotions contradictoires.

Il n’y avait hélas aucun doute possible. Terrifiée de laisser transparaître son mal-être, Keira verrouilla son corps et son esprit. Incapable de réagir, elle attendit simplement que l’aubergiste se relève. Un regard fuyant et un sourire gêné lui firent soudain face.
Oh, je suis vraiment désolée ! C’est que… j’ai cru voir une souris par là-bas, mais j’ai du me tromper. Je… J’ai vraiment horreur de ces bêtes là !
Un rire faux fit grincer les dents de la Frontalière.
C’est vous qui avez payé un bain non ? C’est tout prêt, vous pouvez entrer.
L’aubergiste entrouvrit la porte derrière elle et prit la fuite par les escaliers. Keira resta un instant figée dans le couloir puis s’enferma dans la salle de bain, laissant son corps s’activer machinalement. Le bain dont elle avait tant hâte s’avéra être un véritable enfer. Elle bouillonnait d’angoisse, de chagrin, de colère. Elle l’avait reconnue. Elle l’avait reconnue et tout ce qu’elle trouvait à lui dire était un mensonge pour mieux s’éloigner d’elle. Les souvenirs affluaient dans le désordre et elle se trouvait incapable de les démêler et d’en sortir la moindre pensée cohérente. Elle n’avait pas pensé à tout cela depuis des années.

Elle aurait voulu plonger dans l’eau et disparaître mais son absence finirait par être remarquée et son dernier souhait était de devoir gérer un chef de guerre en colère. Elle attrapa de quoi sécher ses cheveux et fit une pause pour apprécier la douceur du linge. C’était un établissement correct. Ses “parents” avaient visiblement su réinvestir correctement l’argent récolté pour la vente de leur fille. Keira éclata d’un rire nerveux en sortant de la baignoire.

Elle décida de raser les murs et de fixer le sol pour éviter de croiser à nouveau l’aubergiste. Elle repéra la table de ses confrères dans le fond de la pièce et se força à ne pas remarquer le visage familier de l’homme qui s’en éloignait, de la vaisselle plein les bras. Lui aussi, baissa les yeux en la voyant. Le déni mutuel semblait être un bon plan. En théorie. Elle croisa le regard d'Elzeir. Lui aussi semblait approuver ce plan, bien qu’il soit incapable de cacher son agacement. La nausée la gagna mais elle ne laissa rien transparaître. Voilà au moins un domaine dans lequel elle surpassait son père.
Eh bien, j’imagine que je peux rêver pour que l’eau soit encore chaude ?
Il quitta la table avec un air renfrogné. Depuis quand l’appelait-elle “père” ? Probablement depuis que suffisamment de coups derrière la tête l’avaient atteinte. Il lui avait ordonné de l’appeler “père”, alors elle l’avait fait. Comme tout ce qu’il avait ordonné d’autre par la suite. Keira se leva lentement et prétexta la fatigue pour se retirer dans sa chambre. Elle claqua la porte violemment et se laissa tomber dans un fauteuil. Elzeir ou ses parents biologiques…

Ils l’écœuraient tous.
Halloween





Dernière édition par Keira Til'Kaori le Lun 6 Juin - 19:40, édité 4 fois
Keyleth Rionia
Archère naïve
Keyleth Rionia
❝ Une revenante❞

Keyleth marchait d’un pas rapide dans les rues d’Al-Jeit bondées malgré le froid. Si elle se dépêchait, c’était non seulement parce que sa cape rapiécée ne suffisait pas à la protéger du vent glacial et qu’elle avait hâte de rentrer mais surtout qu’elle était en retard. Ses parents n’étaient pas particulièrement à cheval sur ses horaires mais elle tenait à être présente aux heures où ils avaient le plus besoin d’elle.  Elle serrait contre elle la petite bourse que lui avait remise la gouvernante. Elle n’était pas bien lourde mais Keyleth y tenait  plus que tout. C’était l'argent qu’elle avait gagné en effectuant le ménage pendant des semaines chez un noble d’Al-Jeit en plus de son travail à l’auberge et elle craignait de se le faire voler en rentrant chez elle.

Elle se faufila sans peine dans la foule et poussa la porte de sa maison, juxtaposée à l’auberge tenue par ses parents. Elle monta les marches deux à deux jusqu’à sa chambre et déposa la bourse sur un meuble, elle prendrait le temps de compter ses pièces plus tard. De toute façon, elle savait pertinemment qu’elle n’avait toujours pas assez d’argent. Elle poussa un soupir. Pas assez d’argent pour quoi ? Elle ne savait plus. Pendant longtemps elle avait rêvé de réunir assez d’argent pour quitter Al-Jeit et retrouver sa sœur. Mais elle avait fini par remettre en question ce projet lorsqu’elle avait pris conscience de la difficulté que cela représentait. En échange de son travail à l’auberge, ses parents lui donnaient parfois quelques pièces mais c’était insuffisant. Alors elle avait commencé à faire des petits boulots, notamment du ménage dans des maisons de nobles d’Al-Jeit. Mais malgré toute sa bonne volonté, elle n’avait toujours pas de quoi acheter un cheval. Et puis, ses parents commençaient à prendre de l’âge et son père souhaitait par-dessus tout qu’elle reprenne l’auberge familiale. Après tout, ils avaient tout sacrifié pour ce bâtiment. Même leur fille.

Elle ferma les yeux et chassa ce souvenir de sa tête. Elle avait essayé de leur pardonner mais elle n’avait jamais oublié.

En se rendant à l’auberge, elle s’attacha les cheveux en un chignon rapide et afficha un sourire malgré tout. Elle se rendit à l’auberge pour accomplir ses tâches habituelles : aide en cuisine, à la vaisselle, au service selon les besoins. Elle ne remarqua pas le groupe au fond de la salle. Mais elle vit sa mère descendre de l’étage, un panier de linge dans les bras qui ne cachait pas complètement ses yeux humides. Keyleth voulut l’interpeller cependant sa mère se dépêcha de quitter la salle et elle avait des personnes à servir. Soucieuse, elle se dépêcha d’accomplir sa tâche pour la rejoindre. Elle ne remarqua pas la jeune femme brune qui descendait les escaliers pour rejoindre ses compagnons. Mais elle surprit une conversation à voix basse entre ses parents.
—  …as vu ? Elle est…
Ils se turent en l’apercevant.
7a9v.png—  Que se passe-t-il ?

—  Rien qui ne te concerne, il y a du monde en salle, retournes-y

Keyleth pesta intérieurement mais elle obéit à son père. Elle se rendit dans la salle, bien décidée à essayer de comprendre ce qui les dérangeait tant. Qui pouvait être cette personne qui les inquiétait ? Quand elle entra dans la pièce, elle ne remarqua pas la femme qui remonter les escalier mais elle observa que toute la soirée son père évita  scrupuleusement de servir une table au fond et que les rares fois où il dut leur adresser la parole, il fixait le sol et parlait d’une voix respectueuse. Pourquoi ces individus l’effrayait-il ? C’étaient de simples voyageurs, certes ils n’avaient pas l’air commode et savaient probablement se battre mais ce genre de type n’étaient pas si rares. Keyleth profita d’être chargée de les servir pour tendre l’oreille et intercepter des bribes de discussions. Un mot attira son attention. Un prénom. Keira.

Ce ne pouvait pas être ça. Elle essaya de se raisonner. Des Keira il devait y en avoir plein en Gwendalavir. Mais l’attitude de ses parents était inhabituelle. Et si ? Elle inspira profondément. Elle ne pouvait pas prendre le risque de passer à côté. Ainsi quand le groupe quitta la table, elle les suivit de loin, un tas de draps propres dans les bras. L’un d’eux, celui qui semblait être le chef du groupe, s’arrêta à une porte, l’entrouvit et s’adressa brièvement à la personne qui s’y trouvait. Keyleth n’entendit pas ce qu’il lui dit, mais elle entendit une voix féminine lui répondre alors qu’elle passait derrière lui pour rejoindre un chambre vide.

Elle attendit et ressortit quelques secondes après avoir entendu les bruits de pas s’éloigner. Elle s’arrêta devant la porte. Leva le bras pour frapper. Hésita. Et si ce n’était pas elle ?  Elle se faisait probablement un faux espoir. Comme elle s’en était déjà fait de nombreuses fois. Mais à chaque fois elle était allée jusqu’au bout pour s’assurer qu’elle était sur une fausse piste. Là encore elle devait en avoir le cœur net. Elle frappa à la porte. Une voix exaspérée l’invita à entrer, ce qu’elle fit. La grande femme brune qui se tenait de l’autre côté de la pièce n’avait pas daigné se retourner.
7a9v.png—  Excusez-moi, j’ai dû me tromper. On …

Sa voix hésitante monta dans les aigus quand l’inconnue se tourna vers elle et que ses yeux aussi foncés que les siens se posèrent sur elle. Cela faisait quinze ans. Quinze ans qu’elle n’avait pas vu ce visage mais pourtant elle ne l’avait pas oublié. Même si ses traits s’étaient affinés pour ressembler à ceux de sa mère, son regard n’avait pas changé. Il était probablement plus triste que dans ses souvenirs mais c’était bien celui de sa sœur.

Keyleth lâcha les draps qu’elle avait toujours dans les bras et courut pour se jeter sur sa sœur, des larmes de joie dévalant ses joues.
7a9v.png—  Tu es revenue ! Je n’ai jamais cessé de te chercher. Tu m’as tellement manqué !

Halloween
Keira Til'Kaori
Frontalière égarée
Keira Til'Kaori
❝La règle qui corrige l’émotion❞


Cela faisait des années que Keira avait refusé de penser à elle. Même après avoir revu ses parents biologiques, l'idée que Keyleth puisse se trouver dans les parages ne lui avait pas traversé l'esprit. Pourquoi était-elle ici ? Pourquoi vivait-elle toujours avec eux ?

"Tu n'as pas de sœur" avait grondé Elzeir, à de nombreuses reprises. "Et puis, tu penses vraiment pouvoir la retrouver un jour ? Quitte à vendre un de ses enfants pour se sortir de la misère, autant tirer profit de tous. Tes géniteurs l'ont sûrement déjà refilée à un autre couple. Oublie-la. Et concentre-toi sur l'essentiel. Tu ne seras jamais une Frontalière avec cette attitude."

Et pourtant, Keyleth était là, en train de l'étreindre. Elle aurait été si facile à retrouver… À condition que Keira l'aie cherchée. Elle ne l'avait pas fait. Elle avait oublié, comme on lui avait ordonné. Jusqu'aux traits de son visage. Elle ne l'aurait jamais reconnue, si elle ne s’était pas jetée à son cou. Une pointe de jalousie lui serra le cœur. Ils l'avaient gardée. Et c'était Keira qu'ils avaient choisi de vendre. Peut-être que si elle avait été plus gentille, plus souriante, plus attachante, elle aurait pu valoir plus que quelques pièces d’or dans le cœur de ses géniteurs. Il aurait simplement fallu qu’elle soit plus comme Keyleth.

Cela faisait des années que Keira avait refusé de penser à elle, et son déni venait de se briser avec violence. Elle sentit ses bras commencer à trembler. Elle les leva pour les poser sur les épaules de Keyleth, afin de se stabiliser. Ce simple contact faillit lui faire perdre pied. Keira repoussa sa sœur sèchement. Un réflexe qui la soulagea autant qu’elle le regrettait. Elle ne s’était pas préparée à ça. Pourquoi tout ceci arrivait, alors que la mission la plus importante et probablement la plus dangereuse de sa vie devait commencer le lendemain ? Comment était-elle censée se concentrer sur l’essentiel dans ces conditions ?
Je ne suis pas revenue….

Mais…

C’est juste un … hasard. Je suis aussi surprise que toi. Je ne peux pas rester.
Son cœur se serra lorsqu’elle osa regarder la mine déconfite de Keyleth. Keira déglutit péniblement et porta son regard dans un coin de la pièce, les lèvres serrées.

Dans les souvenirs qui refaisaient surface, Keyleth souriait. Elle souriait, même le ventre vide. Elle avait gagné très vite le cœur de tous, y compris celui de sa sœur. Dès sa naissance, Keira avait tout fait pour prendre soin d’elle. Keyleth souriait, Keira s’attaquait à ceux qui voulaient qu’elle cesse. Keira quant à elle souriait peu, parlait peu, se contentait d’écouter ou de fuir les gens. Elle donnait l’impression de ne se soucier de rien ni de personne, hormis Keyleth. Elle n’avait jamais su gagner l’affection des gens. Mais cela lui convenait, puisque sa sœur lui souriait plus qu’à n’importe qui.

Elle avait été l’ombre qui protégeait en silence. Elle l’était toujours, en quelque sorte. A la seule différence que depuis son arrivée chez les Frontaliers, elle risquait sa vie pour des gens qu’elle ne connaissait pas et qui n’avait aucune idée de son existence.

C’était une bonne chose que Keyleth ait pu rester auprès de ses parents, conclut-elle. Keira n’aurait pas souhaité qu’elle subisse ce qu’elle-même avait vécu. Ou qu’elle mène la vie qu’elle-même était destinée à mener.

Elle ne savait pas quoi dire de plus. Keyleth non plus. Ou alors prenait-elle simplement le temps de digérer l’information. C’était intenable. Keira sentit des larmes perler au coin de ses yeux, mais il était hors de question de pleurer. Elle prit la direction de la porte. Une tornade blonde s’interposa entre elle et la sortie. Les traces de larmes encore présentes sur ses joues contrastaient avec son air déterminé.
Eh ! Tu comptes aller où comme ça ?

Je comptais sortir prendre l’air.

Dans ce cas, je viens avec toi ! Nous avons tellement de choses à nous dire !
Keira vacilla. Elle n’avait pas grand chose à raconter. Elle avait été adoptée et entraînée. Et surtout, elle n’avait pas envie de parler. Elle prit le temps d’inspirer pour maîtriser sa voix.
Non. J’ai besoin d’être seule. S’il te plait.
Keira ne voulait pas la brusquer, mais elle avait réellement besoin de quitter cet endroit, au moins un instant. Elle imposa son passage et sortit dans le couloir en hâte. Des bruits de pas dans les escaliers et des voix familières lui parvinrent. Ce n’était vraiment pas le moment. Elzeir ne devait surtout pas la voir en compagnie de Keyleth.

La panique commençait à se répandre dans ses veines. Son corps se mit à prendre ses propres décisions pour la sortir de cette situation. Elle s'engouffra dans une chambre entrouverte et fonça vers la fenêtre. Elle pouvait sauter du premier étage sans peine. Alors elle le fit. Elle inspira l’air frais de la nuit avec soulagement.

Une ombre s’étira soudainement sur le sol. Keira leva les yeux vers la silhouette de sa sœur qui essayait péniblement de la suivre. Agrippée sur le rebord de la fenêtre, elle cherchait un endroit où poser ses pieds.

Mais qu’est-ce que tu fais ?!

J’ai dit que… je venais avec toi.
Sa voix était entrecoupée par l’effort et la concentration. Keira envisagea de simplement partir et de la distancer. Elle serait probablement incapable de la pister. Mais, et si elle se blessait en descendant de la fenêtre ? Si elle se perdait dans les rues sombres d’Al-Jeit en s’obstinant à la retrouver ? Si sa route croisait celles de personnes mal intentionnées ?

Son ventre se tordit en réalisant qu’elle avait gardé ses instincts de protection. Elle attendit que Keyleth finisse sa descente, tournée vers les hauteurs d’Al-Jeit. Dès qu’elle entendit le bruit de sa réception sur le sol, Keira se mit en route.

Pendant un long moment, elles marchèrent sans dire un mot, Keira en tête. Elle appréciait les efforts de Keyleth pour lui laisser un peu d’espace, même si elle pouvait sentir qu’elle trépignait parfois d’impatience. Le temps passant, le silence gênant se fit plus confortable. Elles s’habituaient chacune à la présence de l’autre. Inconsciemment, Keira ralentit le pas pour marcher aux côtés de sa sœur.

Celle-ci finit éventuellement par se lasser d’attendre et lorsqu’elle sentit que le moment était propice, brisa le silence d’une voix calme.
Je comprend que tout ça est très troublant mais... Si tu dois repartir bientôt, cela nous laisse peu de temps pour rattraper celui que nous avons perdu. Tout a changé, maintenant tu sais où me trouver. Nous ne sommes plus perdues. Alors, si tu le veux bien, j’aimerais de nouveau faire partie de ta vie. Et que tu fasses aussi partie de la mienne.
Keira profita de l’obscurité de la ruelle pour essuyer discrètement ses larmes puis acquiesça lentement.

Elle ne savait honnêtement pas si elle mentait. Tout était si confus. Elle avait probablement envie de retrouver sa sœur. Ce n’était en revanche pas le souhait de la réalité. Le lendemain, elle partirait en mission. Puis, si elle survivait, elle retournerait à la Citadelle, à des centaines de lieues d’ici. Elle ne reviendrait éventuellement que des années plus tard, si une nouvelle mission se présentait dans la région. A quoi bon s’infliger des souffrances inutiles ? Il serait plus rationnel de simplement continuer leurs routes, chacune de leur côté. Oui, ce serait plus raisonnable.

Keira avait probablement menti.

Mais au moins, à présent, Keyleth souriait.
Halloween


Keyleth Rionia
Archère naïve
Keyleth Rionia
❝ Nostalgie et révélation❞
Une foule d’émotions contradictoires tourbillonnaient en elle depuis qu’elle avait franchi la porte de la chambre. D’abord la joie de retrouver Keira. Puis une tristesse intense lorsque les bras de sa sœur l’avait repoussée avec fermeté, teintant ses larmes d’amertume. Était-il possible que contrairement à elle, Keira n’ait jamais souhaité la revoir ? Était-il possible qu’elle ait sciemment choisi de ne jamais la retrouver ? Alors pourquoi était-elle là ? Ce ne pouvait être une coïncidence. La détermination remplaça ses idées sombres quand Keira fit mine de partir. Il était hors de question qu’elle s’en aille si rapidement. Elles avaient tant à partager. Quinze années à se raconter !

Keyleth la suivit. Comme elle le faisait quand elle était à peine plus haute qu’un coureur.

Elle avait toujours suivi sa sœur et elle n’avait jamais eu peur de ce qui pouvait lui arriver tant qu’elles étaient ensemble. Et elle en était d’autant plus convaincue aujourd’hui alors qu’elle observait Keira avancer d’un pas déterminé devant elle, la poignée de son sabre dépassant légèrement la ligne de ses épaules solides. Elle avait tant changé. Ce n’était plus la petite fille frêle et amaigrie par des mois de privation qui avait été vendue. Pourtant, pendant une fraction de seconde Keyleth eut l’impression de voir le même voile de tristesse dans ses yeux que lorsqu’elle lui disait au revoir et qu’elle tentait en vain de rassurer sa petite sœur en larmes. Néanmoins comme autrefois, Keyleth ne put que sourire à sa sœur, rassurée de pouvoir à nouveau partager un bout de leurs vies.

Keira était désormais une Frontalière. Keyleth n’arrivait pas à cerner tout ce que cela impliquait et avait envie de lui poser plein de questions à ce sujet. Les Frontaliers venaient rarement jusqu’à la capitale, et ceux qui venaient jusqu’ici ne fréquentaient habituellement pas l’auberge de ses parents. Néanmoins, elle avait assez de jugeote pour comprendre que si justement le groupe n’était pas directement installé au palais c’est qu’il y avait une raison. Probablement la même raison qui avait mené Keira ici et qui l'empêchait de rester. Alors Keyleth garda pour elle toutes ses questions à ce sujet. Elle jeta un œil aux hautes tours d’Al-Jeit qui se teintaient d’or et de rouge avec les rayons du soleil couchant.
7a9v.png—  Depuis combien de temps tu n’es pas venue à Al-Jeit ? Es-tu seulement revenue ? Je parie que non ! Ça te dirait que je te fasse faire un petit tour ?
Keira esquissa un léger sourire face à la tirade de sa sœur qui ne lui laissait pas le temps de répondre aux questions.
dqe0.jpg—  Oui pourquoi pas.
Ravie, Keyleth la fit déambuler dans les rues d’Al-Jeit malgré la fraîcheur de la nuit qui tombait. Il y avait tellement d'endroits à voir dans la capitale, qu’il était impossible d’explorer l’ensemble des quartiers en une seule soirée. Cependant, il y avait une place en particulier où Keyleth voulait aller mais elle n’en dit rien à sa sœur et profita du trajet pour lui raconter des banalités de sa vie ici.
7a9v.png—  Tu vois cette maison immense avec plein de dorures ? Je m’y rends plusieurs fois par semaine pour y faire le ménage. Tu n’as pas idée du nombre de pièces qu’ils peuvent avoir alors qu’ils n’y vivent qu’à deux. Ça fait un boulot monstre pour le ménage, je comprends qu'ils ne s'en sortent pas tout seuls, surtout qu’ils reçoivent souvent des personnes importantes alors il faut toujours que ce soit impeccable !
Keira ne répondit rien. Keyleth ne savait même pas si sa sœur l’écoutait réellement, de toute façon elle n’attendait pas spécialement de réponse. Elle avait juste envie de partager un peu de sa vie avec elle. Keira avait probablement plein de choses bien plus importantes à penser alors Keyleth ne lui en tenait pas rigueur même si elle aurait aimé en apprendre un peu plus sur la Frontalière. Elles avancèrent un moment en silence. La nuit était tombée lorsqu’elles atteignirent le Miroir. Keyleth avait toujours trouvé que le lac était plus beau la nuit, seulement éclairé par les sphères des dessinateurs qui mettait d’autant plus en valeur les couleurs chatoyantes des poissons qui y vivaient.
7a9v.png— Tu te souviens ? Maman nous emmenait souvent là quand on avait un peu de temps libre. Et on s’amusait à courir dans les tunnels en poursuivant les poissons qu’on voyait devant nous.
 
Keyleth se tut alors que des souvenirs de sa petite enfance refluaient. Avec un sourire nostalgique, elle se tourna vers sa sœur qui s’était arrêtée, le regard perdu au loin. Keyleth n’arrivait pas à déchiffrer les émotions qui la traversait. C’est d’une voix faible qu’elle reprit.
7a9v.png  —  Notre mère ne m’a plus jamais emmenée ici après ton départ. Tu sais, elle a eu beaucoup de mal à rebondir. Elle a beaucoup changé après que tu te sois sacrifiée pour nous.

dqe0.jpg—  Après quoi ?
Le regard de Keira s’était brusquement tourné vers elle. Elle ne devait pas réellement prêter attention à ce que Keyleth disait jusque-là et quelque chose l’intéressait soudainement.
7a9v.png —  Ça lui a brisé le cœur. Elle avait beau se dire que tu t’étais proposée pour qu’on puisse s’en sortir et  que grâce à ton dévouement on s’en était sorti, une part d’elle a toujours culpabilisé. Mais tu n’as pas à t’en vouloir !

Halloween
Keira Til'Kaori
Frontalière égarée
Keira Til'Kaori
❝Démystification❞

Keira resta figée les yeux écarquillés en entendant ces mots, tandis que sa sœur semblait se demander ce qu’elle avait bien pu dire pour la surprendre à ce point. Après quelques secondes de suspens, un long rire sans joie, presque hystérique, résonna dans la rue. Repliée sur elle-même, Keira plaça un bras autour de son ventre, espérant vainement que cela calmerait sa nausée et son rire.

Elle finit par se redresser, et inspira longuement vers le ciel pour finir de se calmer. Elle n’osa pas croiser le regard de Keyleth tout de suite et se contenta d’essuyer les larmes qui perlaient à ses yeux en contemplant les nuages.
Excuse-moi, c’est vraiment hilarant ! Quand je pensais que je ne pouvais pas les mépriser plus, ils arrivent encore à me surprendre. Bah, je me doutais qu’ils avaient trouvé une jolie histoire à te raconter. “Le sacrifice de l’aînée pour sa famille et les parents aux coeurs brisés et rongés par la culpabilité”, il faut reconnaître que c’est bien ficelé.
Keyleth affichait un air confus et ne savait visiblement pas comment réagir. Il était rare que Keira soit aussi lunatique, mais cette soirée n’avait visiblement pas fini de mettre sa retenue à l’épreuve.
Je ne comprends pas… Quelle histoire ?
La tension évacuée par sa crise de rire, Keira ressentit à nouveau clairement le goût amer de la colère. Elle s’avança vers Keyleth d’un air presque menaçant, animée par le venin qui parcourait ses veines, et plongea son regard dans le sien.
Tes parents m’ont vendue. Aucun gosse ne propose de se faire acheter de la sorte. Elzeir m’a croisée tandis que je mettais une raclée à quelqu’un qui nous voulait du mal. Il s’est sûrement dit qu’il pouvait faire de moi une Frontalière et il a donné un bon sac d’or à tes parents. Le soir même je partais pour la Citadelle. Fin de l’histoire.
Keyleth écarquilla les yeux et bredouilla quelque chose. Elle semblait lutter pour intégrer cette dure réalité, confrontant ses souvenirs à ce témoignage, tentant de démêler le vrai du faux. Ce n’était pas tâche aisé pour quelqu’un qui plaçait sa confiance aveuglément et qui voyait le meilleur en chaque personne. Keira lui laissa un moment et en profita pour retrouver la maîtrise de ses émotions.
Je… Si ce que tu dis est vrai, je suis vraiment désolée… Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne regrettent pas, tu sais ? Je sais qu’ils ont sincèrement souffert de ton départ, j’ai vu leurs regards dès que j’évoquais ton nom. Et maman…
Keira afficha une mine sévère. Evidemment, elle devait leur trouver des excuses. Son monde venait d’être défait de ses illusions, il était naturel qu’elle cherche à le préserver un minimum. Mais Keira ne pouvait pas entendre ce discours.
Ils ne m’ont pas donné l’impression de regretter quoi que ce soit quand je les ai croisés tout à l’heure. Ils ont fait de leur mieux pour feindre de ne pas me reconnaître. S’ils regrettent réellement quoi que ce soit, cela fait donc d’eux des ordures doublés de lâches. L’un comme l’autre ne mérite aucune forme de respect.
Keyleth allait répondre quelque chose mais la Frontalière n’avait pas la force de supporter un quelconque contre-argument.
J’ai eu mon lot d’émotions pour aujourd’hui. Je vais trouver un coin où dormir, on m’attend au palais demain matin. Tu devrais rentrer chez toi.

Attends, je n’ai…
Keira durcit son ton, une pâle imitation de celui de son père qui suffit néanmoins à faire reculer Keyleth d’un pas.
Je suis sérieuse, ne me suis pas. Nous sommes proches de l’auberge, tu sauras bien rentrer seule. Et si tu veux un conseil, tu devrais te débarrasser de la naïveté qui t’habite, elle finira par te mettre en danger.
Sur ces mots, elle emprunta une rue au hasard, sans se retourner. Elle contourna un groupe de mendiants, et s’enfonça dans l’obscurité. Son comportement envers Keyleth l'écœurait. Sa sœur n’était en rien responsable de tout cela. Keira n’aurait jamais dû lui donner de faux espoirs et maudit la faiblesse dont elle avait fait preuve plus tôt. La Frontalière n’avait rien à lui offrir, ni ce qu’elle espérait, ni ce dont elle avait besoin. Elle parvint à se convaincre que la dureté de ses mots était stratégique et destinée à éloigner Keyleth d’elle, pour son propre bien.

Les choses étaient mieux ainsi.

“Lâche”, chuchota une voix intérieure. Keira la réprima aussitôt.

Halloween


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